Quand l'URSS nous offre ce qu'elle n'a pas

4/1947

N'en déplaise à « Franc-Tireur », dont la revue de presse de la délégation française m'apporte un extrait, je « montrerai du doigt la méchante Union Soviétique qui refuse du charbon à la France ». Aux dires de ce journal, ce n'est là qu'une « paille ». Je crains surtout, qu'à cause du refus soviétique de nous accorder immédiatement l'incorporation économique de la Sarre, nous n'ayons rien que de la paille pour chauffer nos foyers, alimenter nos usines.

Sans doute, au lendemain de la séance, malgré tout historique où M. Molotov a refusé que nous recevions immédiatement la Sarre, M. Vichinsky a-t-il déclaré dans une conférence de presse réunie en grand apparat, que « la France devrait recevoir du charbon par priorité ». Décidément il est toujours prêt à nous donner ce qu'il n'a pas et beaucoup moins ce qui dépend de lui. Mais la belle phrase en manchette dans quelques-uns de nos journaux pour faire oublier la responsabilité de l'URSS a prise en ne nous accordant pas la Sarre !...

M. Vichinsky a d'ailleurs donné une indication précieuse au cours de cette conférence de presse. À son avis, on ne peut pas régler la question de la Sarre tant qu'on n'aura pas pensé le problème de la Ruhr. Autrement dit, la délégation soviétique établit un nouveau lien entre les questions. Elle veut que Sarre et Ruhr soient des problèmes solidaires. Comme déjà la Ruhr est liée à l'unité économique, celle-ci au niveau industriel de l'Allemagne et aux réparations tout se tient désormais.

L'URSS visiblement poursuit deux fins. 1°) Exercer sur tous, en retardant son acceptation, une pression permanente ; 2°) éviter que personne n'emporte un succès avant le règlement final, afin de garder jusqu'au bout les cartes en mains. Cela est extrêmement clair.

- Et ce règlement final peut-il venir ?

Je ne le croyais pas vendredi. Aujourd'hui je pense que ce n'est pas impossible.

Toujours à cette conférence de presse, M. Vichinsky a fait une déclaration que je considère comme importante. Selon lui, si je décante la forme assez compliquée dont il a usé, la dernière proposition de M. Marshall sur les réparations peut servir de base de discussion.

On se rappelle cette proposition : les États-Unis acceptent le principe des réparations sur la production courante, mais dans de strictes limites, la hausse du niveau industriel allemande devant empêcher la livraison de certaines usines, les ayants-droits ainsi frustrés pourraient recevoir en réparation sur la production courante la contrevaleur de ces usines.

Le tout est de savoir si M. Marshall continuera de présenter cette proposition comme à prendre ou à laisser, ou bien s'il acceptera qu'on la discute. De son attitude dépend le sort de la conférence.

Quoi qu'il en soit et dut-on aboutir finalement à un compromis, la conférence de Moscou laissera à ceux qui l'ont suivie un triste souvenir. Une entente aussi péniblement acquise ne peut laisser que des rancœurs. Ce compromis serait beaucoup plus un replâtrage qu'une paix. Que le bilan de la conférence soit resté purement négatif pendant cinq semaines, le signe en est inquiétant.